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Dites-le avec Knopfler

de David HEPWORTH

Guitare et claviers : février 89

L'un fait des disques commerciaux sans le moindre effort. L'autre non : il a toujours pensé que promotion rimait avec prostitution. Amis de toujours, collaborateurs de longue date, observateurs patentés du grand carnaval du rock'n'roll, Mark Knopfler et Randy Newman s'entretiennent avec David Hepworth des chansons, des auteurs-compositeurs, des critiques, des fantasmes sexuels et du heavy metal.

"Mark Knopfler vend plus de disques dans mon hôtel que moi dans ce foutu pays tout entier !", grommelle Randy Newman. En réalité, c'est l'un de ses sujets de conversation favoris... "Est-ce que tu te rends compte que je vends moins de disques ici qu'en Belgique ?"
Voilà un paradoxe dont il pourrait bien faire le thème de l'une de ses prochaines chansons. Tandis que Newman se bat comme un beau diable pour atteindre un niveau de ventes à peine acceptable, son ami et collaborateur amasse des fortunes... sans rien avoir fait pour.
Les bacs des disquaires anglais regorgent littéralement de la compilation "Money For Nothing" de Dire Straits. Au rythme où vont les ventes, ces millions d'exemplaires seront écoulés d'ici un mois. Pourtant Knopfler n'a pas de mots assez durs pour ce disque : "Je n'ai pas fait la moindre promo dessus. Je voulais l'intituler "l'album de l'obligation contractuelle". La maison de disques n'a pas apprécié mon idée...", dit-il avec un sourire malicieux. L'année dernière, Knopfler a consacré une bonne partie de son temps et de son énergie à aider des musiciens qu'il admire. Depuis la sortie de la bande originale de The Princess Bride, il a produit sept des titres du nouvel album de Newman, "Land Of dreams" - fort justement salué par la critique -, il est apparu dans le clip du single It's Money That Matters, il a travaillé trois mois en live avec Éric Clapton, pour qui il faisait la guitare rythmique. Actuellement, il s'apprête à composer la musique du film Last Exit To Brooklyn, d'après Hubert Selby Jr. Enfin, au printemps prochain, il commencera à préparer le nouvel album de Dire Straits. Malgré ce programme bien rempli, il a trouvé le temps de seconder Newman pour la promotion de "Land Of Dreams". Les deux compères s'en acquittent dans la joie et la bonne humeur. Ils enregistrent quatre morceaux pour une émission de radio, jouent Wogan, Long Longford et Dame Edna ; Newman, seul cette fois, subit sereinement les feux de la télévision du matin. Puis, à deux, ils s'assoient gaiement pour un brin de causette.
"Eh, Mark ! Imagine que nous ayons créé tous les deux les Travelling Willburys. Qui aurions nous pris ? Newman semble très absorbé par sa médiation. Voyons voir, continue-t-il... Kylie Minogue... heu... Billy J. Kramer... Madonna et... ? Il louche du côté de son manager. Peter Asher, bien sûr ! Ecoute, je crois que c'est un bon choix : Madonna, c'est l'assurance du succès. On peut faire plein de fric rien que sur son nom. N'est-ce pas une idée géniale ?". Si l'on en croit Knopfler, il n'était pas rare que les sessions d'enregistrement de "Land Of Dreams" soient interrompues par de violentes crises d'hystérie, la plupart étant dues aux monologues caustiques de Newman. Jugez vous-même...
"Savez-vous que je n'en avais rien à foutre de la paix dans le monde avant que U2 ne se saisisse de la question ? C'est grâce à eux que mes yeux se sont dessillés (!). Les avez-vous vus en croisade dans l'Amérique entière pour haranguer les foules ? ... Et quand ils chantent avec les Blacks ? Il faut quand même savoir que les Blacks sont fous de U2. Ils les préfèrent même à Marvin Gaye. Bono a un tel charisme qu'ils sont prêts à faire n'importe quoi pour lui. Voyons voir si je suis capable d'interpréter un de leurs airs : "I rode through the desert on a street with no name..." Les Blacks adorent aussi John Cougar. Quand ils l'ont vu, ils lui ont dit : "Merci, oh merci de nous faire ce cadeau suprême, ta musique...".
Knopfler est plié en deux de rire. Newman a un don pour la parodie incisive, la cruauté ne lui fait pas peur. Personne ne lui arrive à la cheville quand il est question de singer les ridicules du show-business.
"A quoi bon s'en prendre à U2 ? Autant essayer de scier un arbre avec n canif.. Et puis je rirai moins le jour où Bono me rachètera !". Newman n'est pas du genre à éplucher la presse à l'affût d'un article flatteur. Il se fout visiblement tout autant de cracher sur les "vaches sacrées" les plus intouchables. Knopfler, en revanche, est plus soucieux de sa réputation. Il est moins enclin à la polémique. Newman le charrie sur ses réticences : "Te voilà inquiet... comme si tu craignais que je t'oblige à dire du mal de U2 ! Moi, je peux tout me permettre, mais toi, tu dois faire gaffe à ta réputation. Je suis sûr que tu n'oserais même pas attaquer publiquement Hitler ou David Crosby !". Newman en pleine forme continue : "Si ce disque marche, j'irai m'installer à Hawaï. Je me ferai opérer pour devenir une femme.". Knopfler : "Tu pourrais te faire appeler Randa...".

Quand vous êtes-vous rencontrés ?
Knopfler : Au festival "Music For All Nations", en Hollande. Je représentais l'Angleterre, Randy a joué Sail Away.
Newman : Nous nous sommes rendu compte que nous aimions nos musiques respectives. Plus tard, quand nous avons eu l'opportunité de jouer ensemble, nous l'avons saisie. La première fois que j'ai entendu Mark, il jouait Sultans Of Swing. Ce fut... une révélation.
Knopfler : L'une de de tes premières chansons qui m'ait marqué, c'est Let's Burn Down The Cornfield. Randy a eu une grande influence sur les auteurs-compositeurs : il leur a fait comprendre qu'ils pouvaient aborder tous les sujets dans leurs textes.
Newman : A 90%, les chansons pop étaient des chansons d'amour. Les miennes n'en sont qu'à 10%.
Knopfler : Après "Little Criminals", les Américains ont catalogué Randy comme le mec qui ne parlait que de nains ou de trucs sordides. La plupart des gens ne connaissent rien d'autre que lui. Ils ne se rendent pas compte de la profondeur et de la portée de ce qu'il écrit.

 

Il y a eu une polémique à propos de "Short People"...
Newman : Ce disque a été classé n°1 des albums. Aussi, il a été entendu par des tas de gens qui ne connaissaient rien de ma musique. Imagine une femme très petite. Elle travaille dur dans son entreprise, mais ses collègues n'arrêtent pas de lui dire : "Tiens, voilà une chanson pour toi... Ouaf, ouaf !" A la longue ça devient lourd. Pour moi il est clair que le mec qui parle dans la chanson est barge.

 

Les paroles des chansons pop sont souvent autobiographiques...
Newman : C'est ce qu'on prétend. Mais ce n'est pas vrai du tout. Si c'était le cas, elles parleraient de choses très différentes.

 

Mais vous écrivez vos chansons avec vos tripes. Et on ne sait pas toujours si c'est du lard ou du cochon...
Newman : Ça ne me gêne pas d'embrouiller les esprits. Certaines chansons peuvent sembler choquantes. Mais que voulez-vous... si, en écoutant Half A Man, les gens pensent que je suis contre les homosexuels, c'est grave !

 

L'ironie est parfois dangereuse...
Knopfler : La plupart du temps, le public nous comprend. Croyez-le ou non, il existe en Amérique une association des gens de petite taille. Ils n'ont pas pris ça mal. Avec Money For Nothing, la seule contradiction que j'ai reçue est venue du directeur de Gay News, à Londres. Il a trouvé que ça volait au-dessous de la ceinture à cause de l'allusion aux "boulettes". Je suppose que cet homme est simplement un imbécile et qu'il n'a pas bien écouté la chanson. Cela prouve, en tout cas, que l'on peut être directeur d'une publication sans avoir grand-chose dans le cerveau...

 

Mais vous travaillez dans un créneau où les trois quarts des gens n'écoutent qu'à moitié...
Newman : Je n'en suis pas sûr. J'ai longtemps pensé ça et je l'ai souvent dit. Mais aujourd'hui, j'en arrive à la conclusion que s'ils prennent la peine d'acheter un disque, c'est bien pour l'écouter en entier !
Knopfler : C'est encore plus compliqué que ça. Quand tu chantes quelque chose, tu crois à ce que tu dis. Ce n'est pas tout le temps pathétique. J'ai vu les Boys en Allemagne. La salle grondait un peu : elle trouvait qu'ils se répétaient et qu'ils en faisaient trop. Mais pas une fois je n'ai entendu des injures du style "espèces de vieilles pédales sur le retour". On sentait malgré tout la compassion, l'affection du public.

 

Les chanteurs pop évoquent très peu leurs racines...
Newman : Il y a une autocensure. On se bat avant tout pour faire passer un message, pour témoigner d'une prise de position C'est parfois au détriment de l'émotion musicale.
Knopfler : Le mot engagement a subi le même sort que le mot démocratie. Il a été galvaudé.
Newman : Pourtant, il y a toujours à se battre. J'ai entendu Michelle Shocked chanter Anchorage. Elle se met dans la peau d'une ménagère. Ce n'est pas évident, le résultat n'est pas parfait. Mais l'intention est bonne. Dans ce métier, on porte tous des masques. On peut chanter une merveilleuse histoire d'amour, de champs de blé et de nuages tout en étant un monstrueux assassin d'enfants.
Knopfler : Je pense qu'aujourd'hui on peut aller très loin avec le public. J'aurai pu, par exemple, chanter Private Dancer.
Newman : Je n'en suis pas sûr. C'est quand même quelque chose de très féminin.

 

Tes chansons, Randy, sont toujours inquiétantes...
Newman : J'ai toujours pensé que mes personnages étaient plus méchants que le commun des mortels. L'un d'entre eux dit : "Je veux te faire souffrir autant que je souffre", alors que personne ne dirait cela. Ce sont des sentiments que l'on peut éprouver, mais que l'on exprime pas.

 

Sur Rol With The Punches, on a l'impression que tu as intercepté une conversation téléphonique....
Newman : C'est intéressant que tu me dises ça. Tous ces critiques qui sont allés à l'école sont beaucoup plus intelligents que nous. Ils passent leur temps à se prendre la tête sur le rock. Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien trouver à dire ? Le rock est intéressant comme phénomène sociologique, mais les paroles sont rarement passionnantes. C'est rare qu'on ait envie de savoir comment une chanson s'est faite. Ça m'est arrivé pour A Day In The Life et pour Sultans Of Swing. Il y a cette phrase : "A trumpet playing band, that ain't what they call rock'n'roll". Les gamins qui disent ça sont des bigots. On ne fait pas plus doctrinaires que les fans de rock, surtout les jeunes. Ils entendent une trompette, c'est la fin de tout.

 

Tes chansons te viennent toutes seules ?
Newman : L'inspiration arrive quand je m'assieds et que j'essaie de me concentrer. Je dois m'imposer une autodiscipline.
Knopfler : Ça vient peut-être du fait que tu as étudié le piano, et qu'on t'a forcé à pratiquer. Alors qu'un guitariste s'assied n'importe où, attrape sa gratte et joue ses airs favoris...
Newman : Je ne sais pas si mon inclination naturelle m'aurait poussé vers la musique. Comme j'avais un don, ça a facilité les choses.
Knopfler : Pour moi, l'inspiration peut venir de n'importe quoi. Cela peut être une expression que quelqu'un a employée, une situation dans laquelle je me suis trouvé.

Qu'est-ce que vous retenez de votre travail en commun ?
Knopfler : J'ai été impressionné de voir à quel point Randy agit en personne responsable dans tout ce qu'il fait. La plupart des gens se reposent sur les autres. J'ai beaucoup apprécié de participer à une aventure dans laquelle chacun se sent impliqué et travaille sérieusement. Ce qui n'empêchait pas la bonne ambiance... On était souvent pliés en quatre de rire.
Newman : Quand on est soucieux de la qualité de ses textes, il faut prendre garde de ne pas s'appauvrir à la longue. Ce n'est pas arrivé cette fois-ci. Pas un instant je en me suis dit : "C'est de la merde".
Knopfler : Randy n'est pas habitué à ce qu'on vienne mettre le nez dans ses affaires. Généralement, il contrôle tout lui-même. Cette fois, il a permis à certaines personnes - moi, notamment - de lui faire des suggestions. Sans obligation d'achat !

Essaies-tu d'écrire des tubes, Randy ?
Newman : Je n'ai jamais été traumatisé par des considérations commerciales. Mais c'est vrai que je suis de plus en plus l'actualité des charts. Il n'est donc pas inconcevable que, la prochaine fois, j'essaie d'écrire quelque chose de "radiogénique"...

 

D'après vous, qui écrit de bonnes chansons, aujourd'hui ?
Newman : J'ai toujours aimé Chrissie Hynde.
Knopfler : Et Neil Finn, de Crowded House.

 

Que pensez-vous de George Michael ? Sa musique, ses textes...
Newman : Je l'aime bien. Il est sous-estimé à cause de son personnage. Voilà une bonne question à poser : qui écrit le mieux, George Michael ou U2 ?!...
Knopfler : Nous sommes entourés d'excellents musiciens.
Newman : Mais il n'y a pas autant de bons paroliers, parce qu'ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Je trouve que George Michael a des paroles originales : on les croirait inspirées de sa propre expérience. Par exemple, la chanson Kissing A Fool, qui parle de "la foule qui t'a éloignée de moi". C'est un peu comme "derrière le stade avec toi", dans Brown Eyed Girl de Van Morisson. J'aime bien Timbuk 3 aussi. Et puis The Cure, Guns'N'Roses, Terence Trent d'Arby.
Knopfler : Moi j'aime bien Salt-N-Pepa et j'adore Billy Idol.

Avez-vous des goûts éclectiques ?
Knopfler : Je refuse tout snobisme en matière de musique. Je ne m'estime pas meilleur que quelqu'un qui ne joue que depuis deux ans. Kylie Minogue fait des tas de trucs que je n'ai jamais su faire. C'est une actrice, elle sait jouer avec son image, elle a une plus belle gueule que moi !

 

Croyez-vous que les musiciens cherchent à se créer une nouvelle personnalité grâce à leurs chansons ?
Newman : Certainement. Dans les clips, les musiciens veulent toujours se faire passer pour des durs. Ils sont tout sauf ça ! Ce sont les êtres les plus mous que je connaisse. Quand Mick Jagger trépigne en prenant un air mauvais, c'est à hurler de rire. Tu pourrais le mettre à terre d'une simple pichenette ! C'est curieux, le heavy métal domine complètement le marché du rock aux États-Unis. C'est devenu le véritable esprit du rock'n'roll. Ça déménage : c'est que le rock'n'roll a toujours été, et devrait toujours être.
Knopfler : C'est très positif, ce que font les jeunes de Guns'N'Roses. Ils cassent les moules, ils se conduisent en véritables rockers. L'incontournable bouteille de Jack Daniel's posée sur l'ampli, la Les Paul qui gémit. Je trouve ça super. C'est comme U2 qui découvre tout à coup le rock'n'roll. C'est une histoire d'amour musicale. Ce n'est pas toujours aussi abouti qu'on le souhaiterait, mais ce n'est pas grave. La maladresse a des charmes. Je trouve réconfortant de voir des jeunes assez passionnés pour aller jusqu'au bout de leur truc. Ils essaient de donner corps à leurs rêves. A la fin, ils découvrent que la réalité n'est pas à la hauteur de leurs espérances. Mais ça fait partie du jeu. On n'en meurt pas. Peu importe qu'ils imitent Led Zepelin, qui eux-mêmes imitaient quelqu'un d'autre. Ils viennent de découvrir quelque chose et veulent le communiquer au monde entier. Qu'on ne vienne pas me dire de retourner à l'école pour étudier l'histoire des courants musicaux. Ce n'est pas parce que je n'ai pas étudié Charlie Parker que je fais de la merde. Quelquefois en réécoutant des vieux trucs, on se rend compte que ce n'est pas si génial que ça, et qu'on a fait mieux depuis.

Aujourd'hui, les musiciens passent autant de temps sur la promo que sur l'enregistrement de leur disque...
Newman : J'ai toujours estimé que c'était une arnaque pour le public.
Knopfler : Je n'ai jamais fait de promo officielle avant. Ça s'est toujours passé naturellement. Mais en le faisant pour le disque de Randy, j'ai pris conscience que nous créions un objet dont nous étions tous fiers et nous voulions que ça se sache. Ce n'est pas ce que je préfère dans ce métier. Une conférence de presse, ça ressemble à un lavage de cerveau.
Newman : En fait, ce n'est pas si terrible. La plupart des gens que l'on rencontre sont très courtois.
Knopfler : Quel est le problème alors ?
Newman : Quand j'enregistre un disque, je m'y attache. S'il faut que je saute d'un hélico en combinaison orange pour le bien de la promo, pas de problème ! Qu'importe ? Ils ne pourront pas m'arracher mon bien mon bien. Le disque, c'est mon refuge.
Knopfler : En fait, tu es prêt à faire le singe pour ton disque. Mais ce n'est rien à côté de la prostitution à laquelle se livrent la plupart des gens, pour pouvoir simplement bouffer.
Newman : Et toi, Mark, feras-tu la promo de ton prochain disque ?
Knopfler : Personne n'est à l'abri d'un revers de fortune, aujourd'hui. Il faut informer le public. L'époque est très dure pour les peintres, les écrivains, les musiciens, parce qu'ils sont nombreux. On ne peut pas dire qu'il y ait pénurie !

 

Randy, te préoccupes-tu de ton statut par rapport aux autres artistes ?
Newman : Pas vraiment, et pourtant... Un jour, je jouais dans un club de Boston, les mecs de Santana jouaient au Boston Gardens, et ils logeaient dans le même hôtel que moi, dans des chambres contiguës à la mienne. En revenant de mon club, je les ai croisés qui revenaient de leur stade. Nous avons pris l'ascenseur ensemble. Ils sont entrés dans leurs chambres, moi dans la mienne. Ça m'a tracassé... cette promiscuité !